C’est quoi le minimalisme en design ?
Mon objet d’attention est la dernière création de Ronan Bouroullec, Maasto, cette chaise en pin pour le fabricant finlandais Vaarni.
En (légère) overdose d’assises en lattes de bois à l’esthétique brutaliste, je suis d’abord peu intéressée par cette chaise jusqu’à ce qu’un “Tu préfères…”* à l’heure du déjeuner me replonge dans le travail des Bouroullec. Je lis que les illustres frères designers sont rangés dans la case design minimaliste. Ce n’est pas le qualificatif auquel je pense de prime abord !
En même temps ce terme est tellement galvaudé. Le minimalisme est un style, une approche, un art de vivre et de ranger - merci (ou pas) Marie Kondo !
Il m'apparaît comme l’incarnation d’un appauvrissement créatif. Dans un monde standardisé qui a épuisé la question de la simplification, les créateurs semblent appliquer des méthodes par mimétisme sans forcément questionner leur origine ni leur réelle utilité. Résultat : des objets mal conçus mais à la forme pure qui obéissent à la doctrine du “Less is more”, se targuant de n’être composés de que trois fois rien.
Me voilà au Musée du Centre Pompidou, niveau 4 salle 8, celle consacrée au Minimalisme. La suite de mon retour aux origines et au sens originel du minimalisme, c’est dans le digest.
* Tu préfères la chaise Maasto en pin ou Rope créée pour la Bourse du Commerce avec son dossier en corde souple, encore plus radicale ?
🍱 LE DIGEST
Minimalisme : le juste équilibre entre utilité et beauté
Temps de lecture : 10 minutes, 4 minutes en diagonale
“J'ai découvert au Japon le vide, le pouvoir du vide, la religion du vide, au fond, qui n'est pas le néant. Pour eux, c'est la possibilité de se mouvoir. Le vide contient tout.” expliquait la designer Charlotte Perriand au micro de France Culture dans l’émission Mémoires du siècle en 1997.
À l’invitation du Ministère du Commerce, Charlotte Perriand part pour le Japon en 1941.
Ses expérimentations en métal et la modernité attendront. Elle quitte l’atelier de Le Corbusier pour ce qui est alors l'équivalent de “partir sur la Lune”, comme elle qualifie alors le pays du Soleil Levant. Objectif Lune Japon pour expérimenter d’autres manières de penser et de voir.
À Tokyo, elle découvre une philosophie, un esthétisme, et un art de vivre qui lui correspondent particulièrement et vont influencer ses créations, comme la chaise Ombre ou la bibliothèque Nuage. Cette étagère modulable est composée de simples planches et de blocs en métal faisant office de montants et de rangements. Et si on la décrivait plutôt par l’effet produit par le vide volontairement créé par sa structure ? En effet, cette bibliothèque permet de séparer des espaces, de fluidifier la circulation dans une pièce et ainsi de donner toute sa place au vide et d’ouvrir l’espace pour le regard. Une application du concept japonais de Ma : 間
Aux racines du minimalisme : le Japon, esthétique et philosophie du vide
Le minimalisme puise ses racines dans la philosophie boudhiste zen qui promeut une vie simple et dans l'instant présent, par la pratique notamment de la méditation. Le minimalisme japonais a donné naissance au Danshari 断捨離 : dan 断 refuser, sha 捨 jeter, ri 離 séparer. Il prône une remise en question et un détachement vis-à-vis de notre rapport aux objets dans notre société ultra-consumériste. En ne s'entourant que d'objets utiles et beaux, le Danshari permet l'appréciation du vide, du très peu, de l'impermanence des choses et du vivant.
Cette sobriété révèle ce fameux Ma 間 qui signifie distance, intervalle, espace en japonais. Il correspond au vide qui lie deux éléments (espace intérieur et extérieur, deux sons, etc.) pour créer l’harmonie.
Le vide tout puissant
Le vide n’est pas synonyme de l’absence mais au contraire un élément à part entière, participant à l'unité de la composition. “Le vide contient tout” déclare Charlotte Perriand et l’écrivain Kakuso Okakura dont l’ouvrage sur la cérémonie du thé est culte l’explique ainsi : “Le vide est tout-puissant car il peut tout contenir.”
Cette dimension va ainsi être intégrée lors de la conception d’objets et d’espaces par les designers et architectes. Composer avec le vide, tel est le premier enseignement du minimalisme japonais.
Sobriété, utilité et beauté
L’utilité d’un objet réside aussi dans sa beauté, nous apprend le Danshari : on choisit les objets qui vont constituer notre environnement pour leur fonction mais également pour parce qu’ils sont beaux, tout simplement.. Cela ne coule pas de source et le beau en design est rarement assumé en Occident. Dans leur recherche de formes pures dictées par la fonction, leur chasse à l’ornement, les modernistes et chantres du Bauhaus comme Breuer, Gropius, Mies Van der Rohe ou Le Corbusier ont tendance à oublier l’homme et ses besoins qui ne sont pas que primaires !
Alors qu’au Japon, le minimalisme célèbre l’imperfection des choses avec le wabi-sabi et élève au rang de beau les aspérités et signes du temps, les créations modernistes sont une ode au métal et aux formes géométriques parfaites. Ce goût pour le moins qui fascine et influence designers et architectes ne doit pas faire oublier la dimension humaine et ce supplément d’âme, d’authenticité qui donnera envie de posséder et de garder cet objet, de se l’approprier comme le rappelle Charlotte Perriand : “L'homme n'est pas que fonctionnel, non plus, et c'est cette dimension supplémentaire qui est importante. [...] Ce besoin de beauté est une fonction. La beauté ça ne se crée pas. On ne veut pas faire une chose belle, elle devient belle. Elle est belle, si elle est juste.”
C’est ce que Dieter Rams exprimera plus tard en d’autres termes dans ces dix principes pour un bon design : “La qualité esthétique d’un produit fait partie intégrante de son utilité, parce que les produits que nous utilisons tous les jours affectent notre personne et notre bien-être. Mais seuls les objets bien exécutés peuvent être beaux.”
Le minimalisme, un courant artistique : questionner le rapport à l’espace avec trois fois rien
Comment parler de minimalisme sans évoquer le courant artistique qui apparaît à New York, vers le milieu des années soixante. En réaction contre l’expressionnisme abstrait et le pop art, des artistes comme Dan Flavin, Donald Judd, Sol Lewitt ou Frank Stella ont réalisé des œuvres aux lignes géométriques, bien souvent monochromes et caractérisées par une économie de moyen. Ni véritablement peintures ou sculptures, elles s'apparentent davantage à des objets qui peuvent être reproduits en série.
Leurs travaux portent avant tout sur la perception des objets et leurs rapports à l’espace. Leurs œuvres se veulent des révélateurs de l’espace environnant. Ainsi, si Donald Judd réalise des pièces qui matérialisent cet espace, c’est en le teintant de lumière que Dan Flavin lui procure une consistance. Elles ne peuvent donc pas être installées n’importe comment et n’importe où. Je comprends mieux pourquoi l’accrochage disons classique, des œuvres les unes à côté des autres, au Centre Pompidou dans la salle Minimaliste m’a laissé dubitative.
Par exemple, Donald Judd définit les règles spécifiques qui régissent l’organisation et l’installation de Stack composée d’alignements verticaux de pavés colorés : leur nombre, toujours pair, varie en fonction de la hauteur de mur occupée, la partie basse de l’œuvre ne doit pas toucher le sol, car elle pourrait être assimilée à la base de cette colonne, etc. Une Stack (Pile) a pour fonction d’englober l’espace qui l’environne, de le saisir en un tout.
Le rapport à l’espace des artistes minimalistes a donc forgé notre esthétique contemporaine.
Le minimalisme en design, une quête - et non une étiquette
Interroger notre rapport à l’espace comme le font les artistes minimalistes, chercher l’économie de moyen, tendre à un équilibre entre utilité et beauté propre à la culture japonaise sont des questionnements qui animent le designer. Qu’on lui ait collé l’étiquette Minimaliste ou pas.
Cette étiquette minimaliste qu’on colle à des objets et des designers, au même titre que “design scandinave” ou “design industriel” dilue le sens originel du terme.
Ne garder que l’essentiel
En remontant aux origines, le minimalisme s’apparente à une esthétique de la sobriété, une invitation à faire le vide pour mieux concevoir. Cette démarche a beaucoup de sens et redonne de la valeur au minimalisme loin des tendances ou d’un objet réduit à sa forme pure, immaculé et peu connoté culturellement.
J’en reviens à la chaise en pin de Ronan Bouroullec : ce qui est intéressant est que la simplicité qui émane de cet objet vient de la volonté première de mettre en valeur l’un des matériaux les plus banals qui soit, le pin. En s’appuyant sur le savoir-faire du fabricant finlandais Vaarni, le designer a choisi de l’utiliser de deux façons. L’assise et le dossier sont en bois massif alors que les panneaux latéraux sont plaqués laissant apparaître le grain du pin, dont la richesse crée un contraste avec la simplicité de la construction de la chaise.
“Travailler avec Vaarnii, c'est comme travailler dans une boulangerie : le boulanger utilise la farine pour produire quelque chose de simple et de bon ; ici, nous utilisons le pin pour produire quelque chose de bon, de durable, la grâce de la simplicité” dixit Ronan Bouroullec.
De la même façon que Charlotte Perriand déclarait qu’on ne peut pas faire une chose belle, qu’elle est belle si elle est juste. On ne décrète pas qu’on va faire une chose minimaliste. C’est une quête, une recherche à chaque étape de la conception.
En bref
Le minimalisme trouve ses racines dans la philosophie boudhiste zen. Il a donné naissance au Danshari qui prône une remise en question et un détachement vis-à-vis de notre rapport aux objets.
Les oeuvres d’art Minimal questionnent notre rapport à l’espace et ont fortement forgé notre esthétique contemporaine. Prônant une économie de moyens et dénuées d’affect, ces oeuvres s’apparentent à des objets reproductibles en série.
Le minimalisme en design est une quête, celle de la simplicité, d’un retour à l’essentiel : une certaine esthétique de la sobriété.
Pour aller plus loin
Ecouter Charlotte Perriand au micro de France Culture dans l’émission “Mémoires du siècle” en 1997
Relire les 10 principes pour un Bon Design de Dieter Rams
Parcourir les objets (vraiment) minimalistes racontés à la sauce punktional : Ply Chair de Jasper Morrison, les objets de Dieter Rams pour Braun, bibliothèque Nuage de Charlotte Perriand, chaise Zig-Zag de Rietweld
Lire Le livre du thé de Okakura Kakuzō pour s’immerger dans la culture japonaise
Appréhender le concept du Ma, l’espace qui relie
Comprendre ce qu’est l’Art Minimal en parcourant le site de la fondation de Donald Judd, dont son mobilier s’inscrit dans la continuité de ses oeuvres artistiques - même le site web est minimal
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